Notre premier contact avec Gravity s’est effectué dans l’anonymat le plus total, par l’intermédiaire d’une bande-annonce visionnée fin septembre au cinéma. Premières impressions de spectateur impatient de pouvoir voir son film : un concept intéressant, mais deux acteurs un peu à la ramasse. L’un n’avait rien fait de bien transcendant depuis Burn After Reading (2010), l’autre était à l’affiche du potentiel plus gros navet de l’année : Les Flingueuses. Quelques semaines plus tard, le film sort aux États-Unis et pète le box-office dès les premières séances. James Cameron, l’un des maîtres du genre, annonce « le meilleur film jamais réalisé sur l’espace ». Notre curiosité est définitivement titillée, et le 23 octobre, on fait la queue, on achète notre paire de lunettes 3D et on s’installe tranquillement dans un bon gros fauteuil rouge. Les lumières s’éteignent, et le premier écran-titre nous scotche d’entrée :
« Dans l’espace, la température peut varier de -110 à +130 degrés. Dans l’espace, l’absence de matière empêche la propagation du son. Dans l’espace, toute vie est impossible ».
Ambiance.
Une histoire profondément humaine
L’espace est donc un environnement inhumain, exempt de vie, de son et de matière. Le vide sonore quasi total de la première scène du film, un plan-séquence de quinze minutes, nous immerge dans le terrible silence de l’univers. Seuls bruitages : quelques respirations sous scaphandre, quelques paroles transmises par radio. Conversations mécanisées, uniques signes de vie dans l’espace. Au cours de l’aventure que vont traverser les survivants de la catastrophe spatiale qui donne sa raison d’être au film, la présence de l’autre (ici, George Clooney) va s’avérer décisive. Si « dans l’espace, toute vie est impossible », les humains qui y transitent sont, eux, bien vivants. À la vacuité de l’espace s’oppose les marques de la présence humaine. Effet de contraste qui amplifie la peur du personnage deSandra Bullock, trace de vie subsistant dans un univers vide et oppressant. Une actrice choisie par le réalisateur pour sa popularité et « dont le visage peut raconter des milliers d’histoires ». Pleine d’humanité, à laquelle on s’identifie facilement. Gravity est un film sur la vie et la mort, centré sur le personnage de Sandra Bullock. Le docteur Ryan Stoneest hanté par la mort de sa fille, qui la rend depuis froide, distante en société, immobile, incapable d’évoluer. Tout au long du film, elle va devoir travailler sur sa peur, se réinventer : renaître spirituellement pour affronter la mort, et éventuellement, pour continuer à vivre. Une transition que le réalisateur symbolise par le scaphandre, une peau dont on peut s’extraire pour changer de vie. Paradoxalement, la carrière d’Alfonso Cuaron est elle aussi faite de plusieurs naissances. De ses premières réalisations au Fils de l’Homme (2006), en passant par Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban (2004), le mexicain qui regrette à un moment de sa vie avoir « essayé de rentrer dans le moule hollywoodien » est passé par à peu près tous les genres, a affronté toutes les épreuves. Sorti au terme de sept ans de mutisme, Gravity est son chef-d’oeuvre.
Une révolution technique
Quelle est la raison principale du succès de Gravity ? Réponse : il offre au spectateur un divertissement inédit. Du jamais vu conçu grâce à des techniques qui, avant le tournage, n’existaient même pas. Énorme défi pour l’équipe d’Alfonso Cuaron : recréer l’absence de gravité dans l’espace. Un questionnement technique dément qui a mis plus de quatre ans a être résolu. Filmer devant un fond vert est un premier pas. Fournir des images de synthèse pour l’animer, c’est une autre histoire : « il a fallu que les animateurs oublient tout ce qu’ils avaient appris car il n’y avait ni gravité ni horizon », explique Cuaron. Quand au réel, pour filmer le déplacement des personnages, les techniciens ont eu recours à une installation surréaliste faite de bras mécaniques chargés de déplacer les caméras et les projecteurs, pendant que les acteurs étaient harnachés à l’intérieur d’un cube de trois mètres sur trois. « L’espace est le personnage principal de Gravity », nous dit Cuaron. C’est avec lui que le spectateur interagit grâce à la 3D. Jamais celle-ci n’a été aussi utile et son rendu aussi optimal. Le sentiment d’immersion qu’elle procure au spectateur est totalement inédit. Ce que les vieux Tintin : Objectif Lune et autres 2001 : L’odyssée de l’espace n’ont jamais pu vous faire ressentir, Gravity l’a fait. Avant d’entrer dans la salle, vous ne vous attendez pas à expérimenter d’une manière aussi réaliste les effets physiques de l’absence de gravité sur le corps humain. Pendant le film, vous êtes malmené, pris aux tripes : c’est bien vous, là-haut, qui risquez votre vie. Au-delà de l’aspect technique de la 3D et de son effet immersif, Cuaron se permet quelques idées géniales de mise en scène propres à ce format. Si la plupart des blockbusters utilisent le côté fun de l’outil, le réalisateur l’exploite par exemple pour un instant d’émotion incroyable où une larme en suspension se dirige lentement vers le premier plan.
Le film du siècle ?
Un fait est incontestable : Gravity est le film de l’année. À la fin de la séance, le cinéma est redevenu l’échappatoire aussi intense et puissant que l’étaient les dessins animés de votre enfance. À la fin de la séance, vous redevenez tout petit. D’abord, parceque l’univers est grand. Mais surtout parce que vous êtes de retour d’un fabuleux voyage. Les aspects un peu mélodramatiques du scénario sont totalement occultés par le choc visuel et intestinal provoqué par le film. Vous ne vous êtes pas ennuyé une seule seconde ? Vous n’avez pas remis en cause une seule fois la crédibilité de telle ou telle scène ? Vous êtes donc face à un chef-d’oeuvre. Rares sont les films qui procurent un tel sentiment de satiété. C’est d’ailleurs l’avis de plusieurs professionnels du cinéma, James Cameron en première ligne. Le film a entre autres été salué par le compatriote de Cuaron, Guillermo del Toro, mais également par Quentin Tarantino,Michael Moore, ou encore Darren Aronofsky. On retiendra le tweet de Rian Johnson (réalisateur de Looper) : « The filmmaking in Gravity is next level. I had no idea what 80% of the jobs in the end credits were, it made me feel like a kid ». Plus que le film de l’année, Gravity est peut-être le film du siècle. Ou en tout cas, de la décennie. Comme ses illustres prédécesseurs, Gravity est voué à rentrer dans le cercle fermé des oeuvres cultes qui ont révolutionné le cinéma de science-fiction. Star Wars et ses sabres lasers ont bercé la culture geek; Matrix et son bullet time ont fait marqué à vie des millions de pré-adolescents. À l’instar d’Avatar, Gravity est l’un des, voire le plus grand des films à avoir été réalisé en 3D. Les perspectives cinématographiques qu’il soulève fondent les bases d’une nouvelle génération : après lui, tout va changer.
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